Récit écrit en Juillet 1992.
Pour notre 20èmeanniversaire de mariage, en Juin 1992, nous avions décidé de nous offrir, Pounet et moi, un
séjour à Venise.
Nous avons choisi un voyage aller - retour
en autocar, avec hôtel et petits déjeuners.
Donc depuis le mois de janvier je mets de coté les pièces de 10
francs,
5 francs et 2 francs pour tous nos frais sur place et ne pas avoir à sortir d’autre argent de la banque.
Finalement, cinq mois pour rêver de Venise ,
ce n’est pas trop.
Enfin arrive l’heure H du jour J, le 5 juin à 18 heures 15, nous sommes tous les deux avec notre valise rouge devant le tabac du Lion de Belfort, tout près de chez mes parents à Paris, ainsi
que 78 autres touristes.
Premiers de liste, je choisis nos places en haut de l’autocar,
juste au dessus du conducteur et derrière le pare brise.
Il fait chaud et lourd, enfin nous partons.
Il est près de 19 heures et l’autoroute bouchonne.
Une heure ¼ pour arriver à hauteur de Lisses ! La pluie et l’orage arrivent et les envies de pipi aussi.
La faim commence elle aussi à se faire sentir,
mais il faudra attendre Auxerre vers 21 heures 15, pour satisfaire toutes nos envies y compris celle de fumer.
Là, le car se vide par les deux bouts, comme si on
écrasait un tube de dentifrice.
Ça urgeait !
Après cette récréation commence la nuit dans le
car. Le ronron du moteur endort tout le monde et seuls deux arrêts d’essence tireront certains de leur sommeil.
Vers 5 heures du matin nous passons la frontière
franco - italienne sous le tunnel du Mont Blanc (11 kms 600) entre les kms 7 et 8. Un peu angoissant ce tunnel...
Les douaniers des deux cotés exténués, ne le
lèvent même pas de leur chaise ; nos papiers ne les intéressent pas le moins du monde.
Coté italien, dans la vallée d’Aoste, Courmayeur
nous accueille au petit matin avec ses toits de grosses ardoises irrégulières, sous un ciel bas et grisonnant. Des torrents blancs d’ écume dévalent les flancs des Alpes, et les cimes sont
éclaircies de temps en temps par des taches de neiges éternelles. Certains, mal réveillés croient voir des nuages.
Vers 8 heures 30, le car s’ arrête sur l’autoroute
pour prendre le petit déjeuner.
C’est la ruée, mais ici, c’est l’ Italie et il faut commencer par acheter les tickets correspondants à ce que l’on veut boire ou manger, avant d’ avoir le droit de consommer . Fallait le
savoir.
On est à Tréviglio près de Milan et il pleut
toujours. Nous pensions arriver à Venise pour déjeuner mais, vu l’ allure du car, personne n’ y croit plus et on envisage déjà un nouvel arrêt pipi pour pouvoir racheter quelques uns de leurs
merveilleux sandwiches.
Enfin le miracle : " Venizia 1
km ".
Il est 13 heures 30, il fait beau et on continue
au delà de la pancarte…
Où nous emmène - t - on ? Quand mange - t - on ?
On va continuer comme ça 40 kms, sans aucune
explication bien que le car soit équipé d’ un micro.
Quand on ne connaît pas Venise, ce qui est le cas
des 80 passagers, on n’imagine pas que les hôtels sont disséminés tout autour de la lagune et que Venise est au beau milieu.
Le car s’ immobilise enfin vers 14 heures 45 au Lido de Jésolo, une station balnéaire au sud de Venise.
Après avoir pris d’ assaut la douche de la
chambre, je voudrais bien être rassurée sur le but de mon voyage. Je me précipite à la plage. C' est une sorte de bande sablonneuse, recouverte de tissus rectangulaires de couleurs vives, tous
dans le même sens, à perte de vue d’ un coté comme de l’ autre, ce sont des chaises longues. Chaque couleur correspond à un hôtel.
Nulle part ailleurs, je ne vois quelque chose qui
ressemble à un campanile. Aucun relief de terre dans mon champs visuel.
Ils ont
démonté le décor !!!
Un
peu déçue, je rejoins Pounet et, comme nous sommes tous plus masos que nous ne le pensons, nous reprenons le car avec la bande des sept que nous avons formé :
direction Venise via le vaporetto n° 5 qui nous attend à Punta Sabbioni.
Ce bout de presqu’ île est le départ des vaporetti et le
terminus de la ligne des bus qui sillonnent Jésolo et Cavallino .
Après deux arrêts au Lido de Venise et une demie heure de
mer,
ELLE EST LÀ!...
... Étalant devant nous ses ponts, ses canaux, ses dômes et ses touristes dans
une fin d’après midi ensoleillée . Elle est magique, unique, c’est VENISE.
Pendant deux jours et deux nuits elle va
nous faire rêver. A chaque ruelle on découvre d’ autres petits canaux enjambés de ponts de pierres blanches et de rampes en fer forgé, la circulation des gondoles noires et fleuries rythmée par
le chant des rameurs, les touristes qui flânent de boutiques en " Campi ", les couleurs des maisons et de leurs balcons fleuris qui attirent l’ œil, les masques de la Comédia dell’
arte qui sourient ou grimacent dans les " Calle ", les chats qui nous croisent étonnés et partout la gentillesse des Vénitiens.
On pourrait se perdre dans les dédales des petites rues pavées pas plus larges qu’un couloir d’appartement mais non ! Il y a toujours une plaque fléchée qui indique " San
Marco " ou " Rialto ". On se repère très facilement dans ce merveilleux labyrinthe.
Je finirai même
par trouver le restaurant qui indique des « Bigoli in Salsa » à son menu. J’ en rêvais depuis Paris. Ce sont des spaghetti noirs avec une sauce aux anchois. Aujourd’ hui leur couleur
est obtenue avec l’ encre des seiches, mais autrefois ils étaient noirs avant la cuisson. Ils sont accompagnés de calmars cuits dans la sauce. C’est un régal surtout arrosé d’ un " Vino
Fremissante " étonnant rosé pétillant sec. Surprenants aussi les apéritifs maison : c’est un mélange de Campari, de vin blanc et de limonade avec une demie tranche de citron . Ça
aiguise les papilles.
Après cette première approche de Venise, nous
rentrons à l’ hôtel vers 1 h du matin, non sans avoir dégusté mon énième cappuccino envahi de lait mousseux jusqu’au fond de la tasse de café. Ce cappuccino a le goût de mes souvenirs de Rome en
1965.
Le lendemain dimanche, notre groupe de 7 a décidé de mettre les bouchées doubles pour voir le maximum de choses sans
attendre les autres . Nous prenons le bus n° 5 à 8 heures 30, et à 9 heures nous sommes déjà en route pour les îles.
Nous traversons le petit arsenal de Venise. Les marins que nous
croisons sont tous habillés de blanc, mais ils n’ ont pas de pompons. A la sortie de l’arsenal, la mer Adriatique vert argenté offre ses reflets au soleil et laisse deviner les contours des îles
et les limites extrêmes de la lagune vers l’Est.
A Murano, dès l’ arrivée à quai, nous voyons les
fileurs de verre exercer leur art sous l’œil goguenard des badauds. Tous cela me semble cher et décevant et pourtant tous les guides touristiques ne parlent que d’ elle,
Murano.
Nous
entretenons le moral de notre groupe à coups de bières, sandwiches, glaces et autres cappuccini mais nous remontons dans le Vaporetto pour l’ île suivante, Burano, car j’ ai évidemment
bassiné tout le monde pour y aller.
Il faut la vouloir car Murano n’ était qu’à une dizaine de minutes de Venise, tandis que pour Burano il faut compter ¾ d’heure.
Quelle
récompense !
Burano, c’est un
petit bijou perdu tout au fond de la lagune. Ces petites maisons sont rangées serrées les une contre les autres le long de minuscules canaux entrecoupés de ponts. On se croirait entré dans un
tableau naïf avec toutes les couleurs vives des murs qui vont du bleu au jaune en passant par les vert, rose, ocre, rouge.
La légende dit que les femmes de Burano ont peint leurs maisons de la couleur des bateaux de leurs époux, pour qu' ils n' aient plus l' excuse de se tromper de maison...et de chambre
à coucher!
De temps en temps, des tâches immaculées se posent, régulières et géométriques devant les maisons. Ce sont les dentellières de Burano qui exposent leurs merveilles devant leur
porte, tout en continuant de travailler les fils à
l’ aiguille ou au fuseau. Et partout le linge sèche aux fenêtres directement dans la rue.
Ici tout n’ est que calme et sérénité, harmonie, douceur à
quelques minutes d’une ville touristique surpeuplée. Le peu de temps resté là n’ a pas suffit, il faut y retourner, c’est prioritaire pour un prochain voyage. Burano fait partie des choses à
revoir absolument
En
rentrant vers Venise, nous croisons l’ arrêt " San Michele ". Cette île verdoyante est le cimetière de Venise avec une église, à mi - chemin entre la ville et Murano. Les gens s’ y
arrêtent à l’ aller comme au retour, les bras chargés de fleurs en ce dimanche de Pentecôte.
Il est près de 14 heures, le Grand Canal nous attend.
Nous avons décidé de le prendre du Nord au Sud, depuis la gare ferroviaire Santa Lucia jusqu’ à San Marco. Le chemin de fer et la route Milan - Venise forment le cordon ombilical, le seul lien
qui rattache Venise au continent.
La remontée en vaporetto depuis la gare Santa Lucia jusqu’ au
Palais des Doges, est amusante, car elle se fait en zig - zag, ne ratant aucune des stations situées de chaque coté sur les rives.
Nous croisons des merveilles de palais, émouvantes découvertes
en imaginant ce qu’ ils étaient du temps de leurs splendeurs.
La mer et les émanations des moteurs de bateaux ont fait leurs travails de rongeurs insatiables. Le fond de la lagune s’
étant affaissé, les maisons sont au ras de l’ eau. Il y a quelques siècles, il fallait gravir trois ou quatre marches pour être sur le quai comme le montre le " Canaletto " avec
son tableau de la Piazzetta.
Jusqu’ à quand et jusqu’ où Venise va - t - elle s’affaisser ?
Le Grand Canal est comme une avenue d’eau miroitante où se reflète une guirlande multicolore de palais petits ou grands. Certains ont gardé leur vocation artistique en renaissant en musée,
galerie, académies. D’ autres sont devenus des hôtels de luxe. Ils ont tous néanmoins gardé leurs aspects extérieurs, quelques fois restaurés, mais toujours dans le style d’
origine.
Voici le Palais Cavelli-Franchetti sur la gauche avec ses
mâts rouges et blancs et ses fanions agités par le vent de l’ Adriatique.
Le Palais Gritti-Pisoni avec ses trois étages de fenêtres ogivales du XV ème siècle.
Tout au bout du Grand Canal sur la droite l’ Église Sainte Marie du Salut nous attend. Son parvis à colonnes descend vers l’eau avec quelques
marches, tandis que ces coupoles se réchauffent au soleil.
Au Rialto à gauche, la Fondaco Dei Tedeschi du XIII ème est devenue la Poste Centrale de Venise après voir été un ancien comptoir allemand.
Et des palais de chaque coté...
C’est le seul pont de ce genre à Venise. Il n’ a qu’une arche, il est fait de deux rangées d’ arcades dans lesquelles nichent de minuscules échoppes bourrées d’une mine de souvenirs
incontournables pour les touristes que nous sommes.
C’est le quartier du marché aux souvenirs, des masques, des bijoux, des objets en verre filé, des céramiques, des dentelles, mais aussi des fruits et légumes.
J’ y mange mes premières pêches de l’ année.
Au détour d’un coude du canal, un palais étale en
plein soleil sa façade à la manière d’ un tableau de maître, un autre encore, et toujours des gondoles
jusqu’ à cinq ou six de front sous le Rialto.
Savez - vous ce qu’ est l’espèce de peigne argenté qui est à l’ avant des gondoles ?
Chaque dent correspond à un des six quartiers de Venise, le 7ème étant le prolongement du 6ème.
SAN POLO
CANNAREGIO
RIALTO
SAN MARCO
CASTELLO ARSENAL
DORSODURO et la
GIUDECCA
Tout près de là, à coté se tient la Dogena di Mare (douane de la mer) du
XVII ème siècle, juste au confluent du Grand Canal
et du canal Della Giudecca.
Ce bâtiment est surmonté d’une boule représentant la terre dominée par la girouette de la Fortuna tournant au gré du vent.
(à l'
extrême gauche de la photo)
On arrive enfin au carrefour des canaux et de la mer entre le Palais des Doges et
l’ île Saint Giorgio Maggiore dont l’ église du XVI ème lui a donné son nom.
Saint Georges Majeur a aussi un campanile à bonnet vert, que l’ on pourrait confondre avec celui de San Marco, si ce n’
est que l’un est pyramidal à Saint Marc et l’ autre est conique à Saint Georges.
Et puis la plus connue des images vénitiennes se livre sans détour à nos regards perdus devant tant de
beautés.
C’est tout à la fois.
Les Procuraties, la Piazetta, le Palais Ducal et celui qu’ on
n' attendait pas là, ce pont à nul autre semblable, le Pont des Soupirs.
Il enjambe le Rio Di Palazzo tout près des stations des vaporetti.
Le Pont des Soupirs, haut sur l’ eau, ne repose
pas sur les quais, mais il est accroché d’ un coté au Palais des Doges, et de l’ autre au bâtiment de la Justice. On ne peut pas l' emprunter de l’
extérieur, il est fermé et c’ est en fait un couloir où passaient les prisonniers qui venaient d’ entendre leur sentence.
En visitant le Palais des Doges, on le traverse comme une galerie.
Tellement émerveillés nous en oublions de
descendre du bateau. Nous attendons l’ arrêt suivant, St Zaccharia en découvrant ce décor sous d’ autres angles depuis le bateau, le silence seulement ponctué de cris
admiratifs.
Une fois débarqués, nous arrivons
sur la Piazzetta, bordée d’ un coté par le Palais des Doges et de
l’ autre par le Campanile et les nouvelles Procuraties. De chaque coté, près du quai, deux colonnes
s’ élancent vers un ciel bleu canard ou turquoise, surmontées l’ une à droite du Lion ailé symbole de Venise et l’ autre à gauche de San
Théodore.
Les Vénitiens évitent de passer entre ces deux colonnes; ils pensent que cela porte malheur, car autrefois on y installait l’ échafaud.
Quand j’ai vu le Palais des Doges, j’ai repensé à l’
architecture arabe. Il a un petit rien des palais marocains, peut - être sa crête de briquettes roses et déchiquetées ou sa couleur. C’est un gros cube bien planté sur ses colonnades, avec une
cour intérieure pavée de pierres inégales où trône l’ Escalier des Géants.
Maintenant c’est un musée où l’ on retrouve tous les grands peintres et sculpteurs : Le Titien, Cannalleto…
Comme la place San Marco, cette piazzetta, telle une avenue,
est pavée de noir avec un liseré de marbre blanc aux formes géométriques, qui court tout autour à la manière d’ un tapis. Les Vénitiens qui se promènent sur ces bandes appellent
cela " faire des lignes ", comme nous faisons les planches à Deauville.
La Basilique San Marco, léchée par la mer au moment de la marée montante, dévoile l’ envers de ses coupoles totalement recouvertes de mosaïques sur fond d’ or dont
chaque petit carré n’a pas plus de ½ cm de coté.
Il n’y a pas moins de cinq coupoles reparties suivant le plan d’ une croix grecque. La séparation entre le maître autel et le cœur est surmontée de statues représentant la Vierge et les
Apôtres.
Impressionnant également le carrelage au sol, plus bas que le niveau de la place San Marco, ce
qui explique que l’ eau soit pratiquement présente deux fois par jour. Tous les carreaux de ce pavement sont de forme et de couleurs variées, comme un puzzle, dans un camaïeu de noir, beige et
blanc.
En sortant de la Basilique, sur le bas du pilier à gauche, les Tétrarques semblent monter la garde. Ce sont les statues de quatre Sarrazins en porphyre qui auraient été changé en pierre pour
avoir voulu voler le trésor de San Marco.
La place San Marco est là devant nous, envahie par " les marchands du temple ".
Je la pensais beaucoup plus grande qu’ elle ne l’ est. Là, c’est le royaume des pigeons, des camelots et des touristes. Cet endroit rappelle un peu la rue de Rivoli avec ses arcades tout autour,
et la place du Tertre par son ambiance, ses artistes peintres et ses musiciens à la terrasse du café Flerian.
Tout près de là, les heures sont martelées sur une cloche cuivrée par deux Maures. La pendule a un mécanisme qui fait apparaître
l’ heure et le jour, comme sur une montre à quartz, sur un fond de ciel étoilé. On prétend que le Sénat a fait aveuglé le Maître Horloger Paolo Rainieri et son fils Carlo pour qu’ ils
ne puissent pas reproduire le même mécanisme sur une autre horloge.
On est déjà dimanche soir, on pense déjà au retour et aux quelques dix huit heures à passer dans le car, jambes coincées, les envies rarement satisfaites , et la route qui défile sans que
l’on ne puisse rien voir tant il fait nuit.
Avant de reprendre le chemin de l’ hôtel avec nos
tickets forfaits, voilà encore deux petites merveilles sur la Riva Degli Schiavoni :
le palais du Doge Dandola devenu le plus célèbre des hôtels de luxe : le Danieli
et un petit peu plus loin, perdue au milieu d’ autres bâtiments, l’ église de la Pieta ou Vivaldi, Professeur de violon, fut Maître de Chapelle.
Mais le vaporetto nous attend.
On va se venger sur une pizza à Jésolo. Bien qu’ il soit prévu quarante minutes d’attente, une heure vingt sera
nécessaire à satisfaire notre appétit jamais repu, tandis que dehors la pluie revient, comme pour nous rappeler que le retour est proche.
Après un autre cappuccino, on refait les valises
avec les cadeaux pour chacun, en se disant que c’était bien court un week end même prolongé.
Nous n’avons eu le temps que de voir les extérieurs de Venise.
Il faut revenir, c’est une évidence.
Il me manque la vue de la lagune depuis le haut du Campanile de San Marco.
Je n’ai pas visité le musée du Palais des
Doges.
Je n’ai pas emprunté les passages secrets qui
mènent au Pont des Soupirs.
Je n’ai pas trouvé le quartier de la Giudecca,
Ghetto Juif de Venise.
Je ne suis toujours pas rassasiée de
l’enchevêtrement du labyrinthe des petites rues de Venise.
Burano m’ attend encore, perdue au fond de sa
lagune sous le soleil et bercée par ses vagues argentées.
C ' est promis, je
reviendrai.